« Une nouvelle ère pour le Bangladesh »: Entretien avec un militant bangladais
Cette interview fait partie de l’initiative multimédia Voices for Human Dignity du Consortium United Against Torture. Cette initiative célèbre le 40e anniversaire de la Convention contre la Torture (1984-2024) en faisant entendre la voix des victimes de torture, des experts et des militants.
Entre le 15 juillet et le 5 août, des centaines de personnes ont été tuées et des milliers blessées lors des manifestations du « Bangla-Blockade » pour la réforme des quotas au Bangladesh. Celles-ci ont finalement conduit à la démission de la Première ministre Sheikh Hasina le 5 août 2024.
Saira Rahman Khan, secrétaire générale par intérim de l’une des principales organisations de défense des droits humains du pays, Odhikar, revient sur les événements et partage ses espoirs pour un nouveau Bangladesh.
La Convention contre la torture fête ses 40 ans cette année. Que représente-t-elle pour vous en tant que militante des droits humains ?
Pour moi, la Convention contre la torture signifie la dignité humaine. Elle représente une vie sans douleur, une bonne gouvernance, la justice. Elle signifie que les personnes seront traitées avec dignité.
De quels accomplissements êtes-vous la plus fière dans votre lutte contre la torture ?
Je suis extrêmement fière et reconnaissante de la création d’Odhikar il y a 30 ans. Nous avons à l’époque rejoins le mouvement anti-torture et depuis, l’organisation se consacre à tous les types de violations des droits civils et politiques, y compris la torture. Cela fait aussi 30 ans que nous participons au mouvement contre la torture. Je suis immensément reconnaissante et fière de toute l’équipe d’Odhikar.
Pourquoi est-il important pour le Bangladesh d’avoir des organisations de la société civile comme Odhikar ?
Les organisations de la société civile, en tant qu’acteurs et contre-pouvoirs, jouent un rôle crucial pour contrôler le gouvernement et mettre en lumière toutes les violations qui se produisent dans le pays. Elles œuvrent pour une bonne gouvernance, ce qui en retour assure la justice. Il est donc essentiel d’avoir davantage d’organisations travaillant dans les domaines des droits civils et politiques.
Quels progrès récents ont été réalisés pour éradiquer la torture au Bangladesh ? Quels défis persistent ?
En 2013, le Parlement a adopté la Loi sur la prévention des décès en détention. Cette loi vise à prévenir la torture et les décès en détention, et à traduire en justice les responsables d’actes de torture. C’est quelque chose de bien issu de la ratification par le gouvernement de la Convention contre la torture (CAT). Nous avons une loi pour la prévention de la torture, mais très peu de cas sont portés devant les tribunaux. Il ne suffit pas de dire aux forces de l’ordre que la torture est mauvaise ; il faut les rendre responsables, et il faut changer la mentalité des forces de l’ordre. Tant que ce ne sera pas fait, la torture continuera au Bangladesh.
Le Bangladesh traverse une crise politique et sociale. Pouvez-vous expliquer ce qui s’est passé ?
En juillet et août, le Bangladesh a connu de nombreux troubles. Les étudiants sont descendus dans les rues pour protester contre le système de quotas du gouvernement, où plus de 50 % des postes gouvernementaux sont réservés aux détenteurs d’un certificat de combattant de la liberté ou à leurs familles, y compris aux enfants et petits-enfants.
Lorsque le mouvement étudiant a commencé, le gouvernement a ordonné aux forces de l’ordre, comme la police et le Bataillon d’action rapide, qui sont connus pour leurs exécutions extrajudiciaires et actes de torture, de prendre le contrôle des rues. Ils ont utilisé des hélicoptères pour tirer sur les gens depuis le ciel, pas seulement depuis le sol ; ils ont tiré sur les manifestants à bout portant, utilisé des balles en caoutchouc, et il a été allégué qu’ils utilisaient des munitions illégales. Des étudiants ont aussi été arrêtés au milieu de la nuit, subissant toutes sortes de tortures physiques et mentales en détention. On rapporte que plus de 700 étudiants et membres du public ont été tués, et plus de mille grièvement blessés.
Le 5 août, la première ministre a fui, et depuis, une nouvelle ère s’ouvre pour le Bangladesh. Il n’y a plus de politiques répressives, les gens ont retrouvé leur liberté d’expression. C’est un changement immense pour le Bangladesh.
Quels dispositifs existent pour que les forces de sécurité répondent de leurs actes ?
Au Bangladesh, nous avons la Loi sur la prévention de la torture et des décès en détention, adoptée en 2013. Cette loi aurait besoin de quelques amendements, mais elle peut être utilisée efficacement pour responsabiliser les forces de l’ordre ayant commis des actes de torture et de violence en détention.
Quelles mesures devraient être prises pour réformer les forces de sécurité et éviter que de tels abus ne se reproduisent ?
Nous devons nous rappeler que le Bangladesh est un État partie à la Convention des Nations Unies contre la torture ainsi qu’à la plupart des grandes conventions sur les droits humains. Nous avons des obligations envers notre population à travers nos lois nationales et nos systèmes, mais nous avons aussi une obligation envers la communauté internationale des droits humains de respecter ces engagements. Pour ce faire, nous avons besoin d’un système judiciaire fort et indépendant, ainsi que de militants des droits humains qui jouent le rôle de véritables observateurs afin de signaler les dysfonctionnements de ce système.
Quels sont vos espoirs pour l’avenir du Bangladesh ?
J’espère que le gouvernement intérimaire et la population du Bangladesh pourront mettre en place des systèmes, commissions et comités indépendants et responsables, qui travailleront réellement pour le peuple du Bangladesh et ne seront pas démantelés par le prochain gouvernement élu.
En tant que Bangladaise, je suis extrêmement honorée de faire partie d’une nation aussi déterminée, forte, qui a formé une génération d’étudiants et de jeunes capables d’accomplir tant de choses pour nous donner la liberté de nous exprimer sans crainte. En tant qu’enseignante dans une université qui a été attaquée par la police lors du mouvement étudiant, je suis très fière de mes étudiants et honorée d’être leur professeure.
Ce contenu a été produit par l’UATC, le consortium #UnitedAgainstTorture (OMCT, IRCT, FIACAT, APT, OMEGA et REDRESS), financé par l’UE. Le contenu relève de la seule responsabilité de l’UATC et ne reflète pas nécessairement la position de l’UE.